1Au collège Pablo Neruda de Grigny 91, les enseignants font un pari audacieux et exigeant en direction de leurs élèves favoriser leur réussite par l’intégration des pratiques artistiques et culturelles au cœur de leur enseignement général. 2Sur ce territoire ravagé par les difficultés sociales chômage, précarité, violence, instruire est une priorité. Démonstration faite par les récents événements qui ont secoué la France en janvier dernier et qui ont mis en lumière une triste réalité celle d’un mur, invisible et impalpable, qui parfois sépare deux mondes celui du collège, qui charrie avec lui ses idéaux républicains, et celui de la banlieue, traversée par un système de valeurs qui lui est propre. Mais, comment modeler des adultes solidement ancrés dans des valeurs de tolérance et d’ouverture si la laïcité, la citoyenneté et la mixité sociale s’arrêtent aux portes du collège ?S’instruire à l’art et par l’art3C’est la raison pour laquelle les enseignants du collège Neruda s’engagent. Il faut que l’école soit le lieu de l’ouverture à soi-même, aux autres, au monde. S’instruire à l’art et par l’art, voilà ce qui attend désormais tout élève intégrant l’établissement. 4Nulle pratique artistique sans projet là est tout le défi des professeurs. Et c’est d’abord leurs initiatives personnelles qu’il faut mettre à l’honneur. Celle, par exemple, de se former à l’enseignement d’un art, car personne ne s’improvise comédien, guide de musée ou chef d’orchestre. Celle ensuite de trouver l’idée, la bonne, autour de laquelle les liens entre les œuvres et entre les élèves pourront se tisser. Et celle, enfin, de se réunir pour élaborer, construire et matérialiser les projets. Un temps de réunion mis en place par une équipe de direction sans la confiance de laquelle nul projet ne verrait le jour. 5C’est aussi le travail de tout un territoire, des locaux du conseil général au bureau de la gestionnaire du collège, de la mairie de Grigny aux couloirs du rectorat de Versailles. Construire du lien ne pourrait se faire sans une participation active de tous les partenaires financeurs présents sur le territoire sans lesquels les élèves n’auraient accès ni aux musées, ni aux salles de spectacles, ni aux opéras, ni aux capitales culturelles européennes. 6Pour finir, construire du lien, c’est également l’objectif de nombreux autres partenaires présents aux alentours de l’établissement responsables de salle de spectacles, compagnies théâtrales, coordonnateurs de MJC, gérants de gymnase, directeurs d’écoles etc. L’intégration des pratiques artistiques et culturelles ne saurait exister sans l’immense implication des tous ces partenaires locaux. L’école s’inscrit dès lors au cœur d’un tissu institutionnel, humain et artistique qui s’étend sur tout le territoire. 7Et les effets sont positifs. 8En terme de climat scolaire et de relation à l’autre, d’abord. Parce que se confronter à l’œuvre, c’est entrer dans le langage d’un artiste et dans une vision du monde qui n’est pas la sienne. C’est donc à la fois se confronter à l’inaliénable altérité qui parfois nous déstabilise, et engager par là même un mouvement d’introspection nécessaire à la construction de soi. Comme le signale Mme Duverger, professeur d’art plastique au collège, l’art nous confronte à nous même et au monde qui nous entoure. Et l’altérité c’est à la fois l’autre mais c’est aussi nous même. » Par les arts et la culture, les collégiens partent à la rencontre d’autres époques, d’autres langages et d’autres valeurs. De quoi se questionner sur ses propres repères. 9 Découvrir des œuvres c’est bien, mais pratiquer, c’est encore mieux. » C’est la remarque que fait Mme Leroy, professeur d’espagnol, après avoir constaté le regard ébahi d’Hichem à la fin d’un spectacle de théâtre Mais madame, le comédien a appris tout ça par cœur ? Moi qui ne retiens même pas deux répliques ! » Ainsi s’enseignent le respect du travail et des compétences d’ et la culture creusent le terreau de la tolérance et de l’estime de soi10C’est ainsi également que le regard s’éduque et que l’envie naît. Au collège Neruda, trente-cinq élèves volontaires sont chaque semaine présents sur un atelier cirque le vendredi de 17h à 19h après une journée entière de cours. Et pas un seul absent. Une trentaine d’autres élèves, soucieux d’assister à un spectacle, se sont récemment présentés au collège pour assister à une pièce de théâtre pendant les vacances scolaires. Et que dire de tous les exemples d’implication des élèves dans la vie de leur établissement. Affiches de lutte contre le harcèlement, planification du bal des troisièmes, organisation et gestion d’un chocolat-philo sur le temps du midi temps pour parler un peu de la vie avec les profs, parce qu’en cours, c’est jamais le moment », dixit Bernardin, délégué représentant des élèves. Une implication favorisée par toutes ces pratiques artistiques qui font de chaque élève un élément absolument essentiel du projet, et sans lequel et bien ce serait beaucoup moins bien… ». 11Et c’est de l’estime de soi dont il s’agit vraiment. Car elle est au cœur des préoccupations pédagogiques des enseignants. Enseigner, c’est transmettre. Mais sans implication volontaire de la part de l’élève, sans appétence et sans prise de risque, impossible de dispenser un quelconque contenu de savoir. Or, des élèves brisés dans leur confiance en eux-mêmes sont pléthore au sein d’un collège, qui plus est au cœur de Grigny. Je suis nul », je ne comprends rien », de toute façon je n’y arriverai jamais », autant de remarques d’élèves qui signalent la piteuse image qu’ils ont d’eux-mêmes. Le relai de la pratique artistique et culturelle devient une évidence. Au collège Neruda, on monte des spectacles cette année, plus de cinq classes sont mobilisées autour du théâtre, on enregistre des disques, on tourne des clips, on réalise des films, on organise des expositions, on publie de recueils de poèmes, on se forme à l’art cinématographique et on expérimente la culture culinaire. De tels projets s’organisent sur le pari de la complémentarité. Ainsi, l’art et la culture creusent le terreau de la tolérance et de l’estime de soi. Chacun y existe grâce à sa différence, et c’est parce que l’élève est un être unique qu’il est essentiel à la réussite du projet. La pratique d’un art, quel qu’il soit, construit des individualités, reconnaît l’exception qui est en chaque être, et valorise sa particularité. 12Relation à l’autre, estime de soi, implication, prise d’initiative, ouverture d’esprit, autant de qualités nécessaires à la construction d’individus libres, alertes et réfléchis. 13Il est difficile aujourd’hui d’évaluer précisément les effets bénéfiques des pratiques artistiques auprès de nos collégiens. Mais certains signes en disent long. De projet en projet, les élèves s’impliquent, prennent des risques, s’entraident, se rendent disponibles, et surtout s’emparent avec cœur et conviction de sujets graves. Cette année, les collégiens se sont engagés dans des projets de lutte contre les discriminations en tout genre, ainsi que dans un projet de mémoire sur les victimes de génocides. Espérons donc que l’art et la culture continuent de prendre la place qui leur est due au sein des enseignements scolaires, pour permettre à l’école de jouer son rôle dans la construction des sociétés futures.